Paloma Contreras Lomas

La vida secreta de los perros / The secret life of dogs, 2018

La vida secreta de los perros [La vie secrète des chiens]

Chapitre 1 : Los miedos ancestrales pueden colver [Les peurs ancestrales peuvent revenir]

Nous avançons sur la colline sinueuse, « à quoi sert l’argent si je reste prisonnier de cette grande nation », entendions-nous encore par de petits chuchotements venant du pain, « lorsque je me souviens, je pleure, même si la cage est en or », le sac se mit à vibrer avec le léger chant provenant d’un coquillage, « c’est toujours une prison, mes enfants me parlent » ; j’ai appuyé contre la fenêtre. Les fenêtres de ce bus étaient teintées, donc personne à l’extérieur ne pouvait voir à l’intérieur, le paysage devenait de plus en plus dense, on ne pouvait observer, de temps en temps, que des stations de lavage pour voitures abandonnées. J’ai commencé à avoir peur pour la première fois, dans ce paysage, le plus hostile que j’aie jamais vu, « ils ont appris une autre langue et oublié l’espagnol », il n’y avait presque pas de brouillard, l’aube n’avait pas connu de pluie, ce manque de brouillard m’effrayait car je pouvais percevoir parfaitement la silhouette de cette forêt. Des plantes préhistoriques gardaient secrètes leurs visions, « elles pensent comme les Américaines, elles nient qu’elles sont mexicaines », le chant misérable du pain devenait de plus en plus insupportable, son volume augmentait, mes yeux me piquaient à force de regarder, mes larmes confirmèrent le pire. Ils commencèrent à se montrer, sur les arbres, des dizaines d’entre eux, si nombreux qu’ils semblaient former une véritable épidémie, leur regard traversait le verre polarisé, « même s’ils ont la même couleur que moi, c’est toujours une prison », ce foutu coquillage ne se taisait jamais. Je l’ai attrapé et j’ai commencé à le tordre, je voulais le tuer, avec la femme qui l’habitait, de plus en plus de femmes me regardaient en bougeant leur bouche, comme si elles criaient mais je ne pouvais rien entendre, le coquillage continuait à chanter cette chanson de Los Tigres del Norte. Il la chantait en hurlant et personne dans le bus n’était ému ; « écoute-moi fils, veuxtu qu’on retourne vivre au Mexique ? » Après ce couplet, le coquillage se tut, exhala son dernier cri avant de mourir dans mes mains pleines de miettes, le siège du bus en était jonché, des miettes roses, les entrailles du pain. Ces femmes avaient enfin disparu ; peut-être qu’elles ont entendu le pain crier et ont décidé d’arrêter de me regarder. Ces femmes ont perdu une autre fille comme elles en ont perdu beaucoup d’autres, dans les mines, les mines hydroélectriques, à cause de la faim et des narcotrafiquants. Elles m’avaient vu et elles n’allaient pas changer, elles m’avaient identifiée et pouvaient revenir me chercher en me regardant de bas en haut, depuis les arbres.

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