Nidhal Chamekh

Drapeaux de la deuxième édition de la Biennale d'Architecture d'Orléans, 2019

La Smala à venir

Quel moment étrange où le désir conçoit une carte ! L’oeil, tout à coup, s’exile audehors du monde et assume presque un point de vue transcendant. Peut-être même que le divin se révèle en ces moments-là, moments de guerre ou d’affrontement, de paix et de sécurisation. Les cartes sont les projections de l’histoire. Là où se révèle le politique comme rapport à l’autre dans l’accueil ou l’hostilité.
Un drapeau quant à lui se dresse devant une perspective horizontale. Il signale l’être chez soi ou chez l’autre. Il flotte et bat comme on agite sa main, là où toute langue commune nous manquerait. Il est pour les autres un signal : seuil minimal de reconnaissance qui précède toute rencontre. Peut-être une hospitalité originaire, une invitation avant tout accueil généreux ou tout conflit sanglant. Quant à ceux qui le portent, le drapeau devient pour eux symbole de leur rassemblement, de leur habitation commune, ainsi que du lien qui a subrepticement attaché, jusqu’à leur chair quelquefois, leurs existences et leurs projets à une fin commune. Et souvent, pour ses porteurs, le drapeau se regarde du bas : tel un astre qui brille, il flotte au-dessus d’eux et montre leur destin commun.

Mais voilà que la carte s’imprime sur le drapeau ! Les trois points de vue se mélangent, ou plutôt se croisent dans un regard multiple. C’est un moment nécessaire dans chaque révolution cosmique ou historique. Le ciel fait face à la terre dans ces moments-là. Les deux se tiennent par le battement d’un désir inouï. Un désir presque inhumain de justice. Un désir appartenant à l’être même. La justice ici est cet état – avant tout droit – qui tient ensemble ce qui se dissemble. Ce qui fait apparaître l’hospitalité première : accueil ou rencontre même de ce qui m’est hostile.

Deux drapeaux, ou étendards, battent ici. Guerriers et pacifiques à la fois. Porteurs de deux cartes circulaires, révolutionnaires. Tout se renverse : pour un temps se suspend la perspective hypnotisée par le marquage territorial. L’oeil découvre les flux ! La carte n’est plus sur une surface plane. Elle flotte en l’air et s’agite, performant l’agitation et le mouvement tumultueux des hommes. La carte sur le drapeau est le signe de l’histoire, de ses cycles, de ses événements, et de ses revers. Ici le Nord n’a plus de privilège sur le Sud. La justice tient le tout dans une vibration continue.

La Smala est ainsi le destin de toute cité terrestre qui veut se porter au ciel d’un drapeau. La Smala : cité mouvante, capitale guerrière et résistante, ville qui garantit l’hospitalité au coeur même du conflit. La Smala est une « cité » faite de stratégies de résistance et de désirs de justice. Sa fondation est perpétuelle. Fragile du fait même qu’elle ne s’installe pas de manière définitive, elle reste toujours une demeure ou un état à venir. La Smala n’est plus un nom propre. Elle n’est plus seulement ce moment historique de la résistance algérienne au colon français. La Smala sur l’étendard devient la marque d’un cycle cosmique et d’une révolution continue.

« Mais il prend et donne la mémoire, l’Océan,
Et l’amour aussi attache assidûment les yeux,
Mais ce qui demeure, le fondent les poètes. »
Friedrich Hölderlin, Souvenir (traduction française de Patrick Guillot).
Arafat Sadallah

Nidhal Chamekh

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