" Black Blocs est un projet en cours portant sur l’iconoclasme. Les blocs sont une série d’objets noirs qui pourraient (ou non) être des maquettes d’espaces archétypaux.

Chacun d’eux est conçu comme la réponse à un conte qui n’est ancré ni dans l’espace ni dans le temps. Les contes populaires sont invariablement basés sur des archétypes formels qui se répètent sans cesse, toujours les mêmes et pourtant toujours différents. De façon très similaire, les blocs incarnent des organisations spatiales de base qui sont reconnaissables, sous diverses déclinaisons, dans nos villes d’hier et d’aujourd’hui. Ces blocs sont délibérément impossibles à reproduire. S’il est vrai que n’importe quel objet en trois dimensions résistera systématiquement à une traduction complète en image dans la mesure où il y aura toujours une partie qui restera cachée, les objets noirs s’avèrent encore plus difficiles à capturer en photo. L’intention derrière les blocs est de repenser la forme au-delà de la figure. Forme et figure sont deux choses différentes, car la forme ne revêt pas uniquement un caractère visuel. Les images, en effet, consomment la forme, elles l’érodent lentement tant dans sa profondeur que dans son aspect et son mouvement. Mais là encore, images et icônes ne sont pas la même chose : l’iconoclasme entend remettre en cause les images de telle sorte que les icônes puissent être vues sous un angle nouveau. Lorsque les icônes ne peuvent devenir images, lorsque la forme ne peut devenir figure – c’est-à-dire en période d’iconoclasme –, c’est aux mots qu’il revient d’absorber toutes les fonctions sociales de la représentation visuelle. Peut-être l’homme a-t-il d’ailleurs découvert la forme à travers le rythme du chant et de la poésie, avant de l’avoir rencontrée dans la peinture et la sculpture.

Le projet se compose donc de ces objets noirs, et de leurs contes respectifs. Tenter de trouver la forme dans les mots et dans des objets noirs ne pouvant être reproduits, c’est se mettre au défi de renier notre culture visuelle, une culture qui est extrêmement dépendante des figures et des images. Les mots et les objets peuvent-ils, à partir de contes anciens, donner naissance à de nouvelles icônes ? Peut-on reconnaître la forme dans quelque chose qui ne peut être vu ? Art, politique et religion partent régulièrement en guerre contre la figure, toujours avec pour fondement un paradoxe : celui du retour à une table rase censée incarner un nouveau départ. En célébrant un supposé vide originel, l’iconoclasme représente une forme de nostalgie, sans doute la seule forme honnête de nostalgie qu’on puisse imaginer. En fait, si la nostalgie correspond au désir ardent d’un retour, il devrait être évident qu’on ne peut jamais rentrer chez soi, car l’homme est par nature une créature déracinée, sans aucun habitat spécifique. Face à l’impossibilité du retour, la nostalgie, plutôt que de nous faire reculer, nous pousse un peu plus en avant. Lorsque le catalogage compulsif des images du passé est interdit, la nostalgie ne revient plus qu’à admettre que ce que l’avenir nous réserve reste encore à explorer." (Maria Giudici)

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