Louidgi Beltrame

Gunkanjima, 2010

Avec Gunkanjima, Louidgi Beltrame contribue une nouvelle fois à la construction d’une autre histoire de l’urbanisme : celle des cités englouties et des villes fantômes, réelles ou idéales, qui nourrissent depuis toujours l’imaginaire des artistes et des architectes. Surnom de l’île de Hashima, située au large de Nagasaki au Japon, Gunkanjima (« île navire de guerre ») fut le théâtre d’une expérimentation industrielle et urbaine inédite suite à la découverte d’un gisement de houille au XIXe siècle. Entre 1899 et 1931, Hashima est l’objet d’une urbanisation verticale poussée à l’extrême et subit des aménagements pour gagner sur la mer. Habitations, écoles, jardins d’enfants, temples, hôpital, commerces, restaurants, administrations... sont construits, donnant une allure futuriste à l’île qui évoque dorénavant un navire de guerre. Evacuée en trois mois seulement suite à la fermeture de l’exploitation houillère en 1974 et aujourd’hui abandonnée, Gunkanjima paraît à la fois figée dans le temps et prise dans un mouvement entropique. À travers les différents éléments qui composent son installation, Beltrame propose un parcours destiné à faire surgir les fantômes qui peuplent encore le site : le plan, les objets trouvés sur l’île, les images et certains commentaires en voix-off de la vidéo documentent l’histoire réelle de l’île en mettant à jour les différentes strates historiques qui l’ont dessinée au cours du temps, depuis sa constitution géologique jusqu’au quotidien de ses habitants. Mais l’artiste joue également sur l’aspect post-apocalyptique de ce décor pour réaliser une œuvre qui oscille entre documentaire archéologique et fiction scientifique. Le film super 8 (Katashima Torpedo Base) qui ouvre l’installation montre une architecture spectrale, comme surgie des eaux (une tour de guet située en pleine mer dans la base navale de Katashima), et semble marquer l’entrée dans un territoire énigmatique. Le montage de la vidéo consacrée à Gunkanjima, souvent en plans fixes, offre quant à lui une vision kaléidoscopique qui interdit toute compréhension rationnelle de la ville. Les extraits en voix-off de Borges et de J.G. Ballard ajoutent au mystère que l’artiste laisse planer autour du l’île, tandis que le traitement réservé aux ruines participent de la déréalisation du récif : filmées comme des sculptures monumentales, elles quittent progressivement l’Histoire pour accéder à une forme d’éternité.

Gilles Rion

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